Il faut presque mettre le nez dedans pour sentir le poisson. La poissonnerie du Dôme, en plein 14e arrondissement, fait dans le haut de gamme. Des murs d’un blanc immaculé, des filets de poisson bien alignés, pas d’écaille ni de flaque d’eau par terre et, surtout, aucune odeur. Car pour Julien, l’un des deux propriétaires de l’établissement,
Une poissonnerie qui sent le poisson, c’est mauvais signe.
À Rungis, ses critères de sélection sont tous liés à la fraîcheur du produit : il faut un poisson beau avant tout. C’est-à-dire un œil bien bombé, vif, un corps raide avec toutes ses écailles, une tête sans rougeur. Un aspect primordial, synonyme de fraîcheur.
Ainsi, Julien privilégie l’achat direct. Il ne passe que par un ou deux expéditeurs. Le reste du temps, il préfère voir le poisson de ses propres yeux avant de le sélectionner. Toutes les nuits, il y va au feeling.
Vers minuit, on appelle pour mettre de côté quelques produits. Mais une fois sur place, si ça ne nous inspire pas confiance, on ne se force pas à l’acheter. On prend ce qui nous plaît, indique-t-il d’un air jovial.
Entre le temps de pêche, de criée et de transport, le poisson arrive sur leurs étals en moyenne 24 heures après avoir été pêché, 48 heures grand maximum.
Les poissons proviennent uniquement de petites pêches côtières de France. Une production à l’image de la boutique : à l’intérieur, les trois étals ne sont pas bien grands. On y trouve une cinquantaine de produits environ. Julien en a fait un atout, celui de privilégier la qualité à la quantité.
Nous n’avons pas de linéaire de 12 mètres avec tout et n’importe quoi dessus !, lance-t-il fièrement. Il vaut mieux se concentrer sur quelque chose de frais. Faire peu mais faire de la qualité
Julien ne fait rien importer, mis à part le saumon sauvage. Dès qu’il le peut, en saison, il achète du saumon de l’Adour, un fleuve d’Aquitaine. La plupart des autres poissons sont issus des côtes de Bretagne et de la Manche. Les crevettes grises, en provenance de Honfleur, sont cuites par les poissonniers eux-mêmes.
Diplômé dans l’hôtellerie, le poissonnier semble aussi avoir l’âme d’un cuisinier. « Le court-bouillon par exemple est très répandu alors que c’est inutile. Et un bon poisson n’a pas besoin de tomate ni d’oignon… ». Pour accompagner le tout, du vin, de la tapenade et des salicornes sont aussi vendus.
On conseille de plus en plus les clients sur la manière de cuisiner le poisson, on leur donne des astuces, des idées de recettes.
Parmi les succès, on retrouve bien sûr la sole, le bar ou le turbot. Mais la poissonnerie se distingue par des produits plus originaux : tartare maison, saumon sauvage d’Ecosse, bulots cuits maison, rouget sous toutes ses formes, pinces de tourteaux cuites maison, thon rouge ou encore filets de morue salée apportent une véritable valeur ajoutée au Dôme. Toujours à l’affût des poissons qui sortent de l’ordinaire, Julien veut se démarquer des autres.
Le problème de la pêche aujourd’hui, c’est qu’elle se concentre toujours sur les mêmes produits. Les grandes surfaces et même les poissonneries manquent de plus en plus de diversité. Avant, le panel était extraordinaire, déplore-t-il.
La fois où Julien a pu dégoter six kilos de petits encornets, le succès a été foudroyant auprès des amateurs de bon poisson : tout est parti en une heure et demie.
Les clients du quartier ne sont pas les seuls à être séduits par ces attentions particulières. Parmi la clientèle fidèle, la poissonnerie du Dôme compte une vingtaine de restaurateurs.
On collabore aussi bien avec de beaux établissements comme le George V qu’avec des petits bistrots du coin.
Cette bonne réputation, Julien et son frère Sébastien l’ont héritée de leur père. Lorsqu’il rachète l’affaire en 1986, la poissonnerie n’était pas spécialement réputée. Les deux frères commencent par donner des coups de main le week-end, dès l’âge de 16 ans.
On a débuté très jeune comme apprenti, on n’était pas les fils du patron, tient à souligner Julien.
Sans formation de poissonnier, ils ont tous deux appris sur le tas. Il y a un an, Sébastien et Julien reprennent officiellement la poissonnerie.
Il a redoré la réputation de la poissonnerie, à nous maintenant de la conserver, résume-t-il humblement.
« Nous », c’est aussi les neuf employés, la même équipe depuis toujours. Ils ont tous entre 15 et 26 ans d’expérience dans la maison.
On travaille des produits extra, dans une bonne ambiance, et on apprend un vrai savoir.
Le trio gagnant. T’aurais pu te faire beau, on va te tirer le portrait, lance un collègue à Sébastien pour le taquiner.
A l’intérieur du Dôme, on ne sent peut-être pas le poisson, mais la bonne humeur se respire à plein nez.
Anissa HAMMADI.
Poissonnerie du Dôme
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